Un bruit. Un coup de tonnerre. L'orage alors qu'il ne pleuvait pas ?
Le son que ne pouvaient identifier les protagonistes de cette scène n'était autre que celui d'un Aerojet militaire de classe plasma-2 pénétrant l'air à une vitesse supérieure à celle du son. Bien entendu, ils ne pouvaient pas le voir depuis l'endroit où ils étaient.
Ils ne pouvaient pas voir l'équipage du vaisseau calculer la trajectoire d’atterrissage d'urgence dans les jungle de l'Antartica, s'affairer à chambouler le moins que possible la population locale, et essayer de trouver un lieu pour garer la navette de près de cinquante mètres de large pour quinze de long. Déposer le bâtiment d'une couleur blanche comme la neige dans une clairière et débarquer sur le sol de Terra une escorte de quatre hommes vêtus de toges aux couleurs aussi vives que le sang.
Ils ne pouvaient pas voir ces quatre hommes se concerter avant de se disperser aux points cardinaux de la forêt, à la recherche de quelque chose, ou quelqu'un, et envoyer régulièrement des messages cryptés remplis de rapports sur l'environnement, la faune, la flore de la forêt, ses indices thermiques, sa composition moléculaire, bactériologique et virale. Ses composés chimiques, les interactions du biome avec la biomasse, les données altimétriques et atmosphériques.
Ils ne pouvaient pas sentir la présence de l'un d'eux, les observant, à quelques kilomètres de là. Ayant déployé un ensemble de nanodrones en forme d'insecte dont l'objectif était d'injecter des substances étrangères dans leur corps mortels, revenir quinze minutes plus tard au vaisseau et discuter d'un plan dont eux seuls étaient les maîtres, dans la discrétion la plus mystique et le flegme de la ferveur.
Ils ne pouvaient pas savoir tout cela. Et pourtant, quelques minutes après ce choc, ce bruit, cet éclair que l'on ne voyait pas, ils étaient allongés, endormis, sur le sol de la forêt. Ksseret avait le visage enfoncé dans la terre qu'il venait de décorer à l'instant d'une écriture savante et avant tout humaine. Quelle ironie lorsque sa lance pointait vers le mot pacifique, un signe ?
Non, ils ne pouvaient plus rien savoir.
Les quatre hommes se dirigèrent, ensemble, vers Neydilli et son groupe de gardes du corps, endormis, et se posèrent à trois mètres des corps inanimés, endormis par le puissant anesthésiant dont la propriété était d'assommer n'importe quelle espèce vivante et de lui injecter une dose suffisante de sommeil dans les veines pour qu'elle ne se réveille qu'après un certain temps donné sans qu'elle ne se doute de quoi que ce soit.
L'un des hommes attrapa une fiole et observa une fumée noire venir s'y engouffrer, avant de la refermer. Ils attendirent au moins dix bonnes et longues minutes avant que l'un d'eux - le chef semblait-être, quoique avaient-ils seulement un chef - ne s'avance et ne souille de ses magnébottes inutiles le sol dans lequel était tracé des symboles en dialecte de primitif.
Il observait la scène, sage.
- Lequel est-ce ? Cria-t-il, d'une voix qui ne puisait la panique que dans l'imaginaire de ses interlocuteurs.
- Il s'agit de l'humaine et du formicien. Nous ne savons pas encore si ce dernier en est réellement un. Les deux sont comme... connectés. Qui des trois autres lui avait répondu ? Impossible de le savoir, les hommes parlaient d'une manière presque incompréhensible, en n'émettant que les plus faibles sons possibles. Parlaient-ils seulement ? Dialoguaient-ils avec l'esprit ?
- Peu importe. Prenons les tous les deux.Deux corps se penchèrent sur Neydilli, tandis que les deux autres vinrent porter le formicien. Tous les soulevèrent par la seule force d'une civière modélisée virtuellement, dont l'hologramme était suffisamment condensé pour pouvoir tenir un corps, tel un tissu aux vertus magiques. Ils les menèrent vers le vaisseau et les y installèrent. Les hommes de Neydilli furent laissés-pour-compte, et se réveilleraient plus tard avec un mal de crâne leur rappelant leurs années de jeunesse. Avec en prime une inquiétude pour le destin de leur chantre.
Avant d'entrer dans le vaisseau et de repartir, les deux hommes s'échangèrent quelques derniers mots. Comme si la vie toute entière atour d'eux n'avait n'importe, comme si le temps ne s'écoulait que par gouttelettes à travers les âges. Comme s'ils étaient éternels, et profitaient de l'instant, alors que l'univers tout entier avançait à une vitesse affolante, et que deux âmes endormies se réveilleraient loin de leurs nids.
- Ce formicien, que faisait-il ici ?- Il est issu d'un processus de migration aléatoire qui a poussé sa colonie à se retrancher sur ce continent. C'est assez rare pour le noter. - Sa colonie se remettra de sa disparition ?- Probablement pas... Il y a très peu de chances, ou bien ils trouveront un autre architecte, ou bien ils seront sélectionnés par les voies immuables de la nature. Le premier homme soupira, il lança un dernier regard vers le merveilleux monde qu'était le Mater. Une pointe de nostalgie vint imprégner la brume bleuté de ses yeux, et son visage se durcit de plus belle, comme une colère gravée dans un bloc de granit que l'on aurait enfouit à milles lieux sous terre.
- J'imagine que c'est mieux ainsi... Il marqua une pause.
Les écritures, dans le sol, étaient-elles de lui ?- Oui.- Épatant, épatant...Puis ils disparurent dans les viscères de leur vaisseau.
***
Ainsi, Neydilli et Ksseret ne purent savoir que l'on implanta en eux un traducteur greffé à leurs cordes vocales. Ils ne purent savoir qu'on les mena sur un monde hors du temps et de l'espace, loin de leur habitacle natal. Loin de Terra. Ils furent menés à des kilomètres et des kilomètres de là. Plus loin encore que le ciel, loin derrière le soleil, sur un autre monde. Ou plutôt, la lune d'un autre monde.