Jivihia
Jivihia avait toujours été bannie dans l'esprit des hommes. Non pas pour sa stérilité, mais pour le peuple qui dominait sa surface et ses souterrains. Rares étaient ceux qui pouvaient se vanter n'avoir vu un jivihien en vrai, et moins encore pouvaient se targuer d'avoir l'esprit sain après une telle rencontre. Les explorateurs de l'ancien temps définissent les jivihiens comme un peuple refermé sur lui même, soumis aux conditions climatiques instables de l'astre lunaire et à la composition toxique de l'atmosphère.
Le port de gel respiratoire était nécessaire si l'on voulait vivre plus de cinq minutes sur cet astre. L'air que l'on y respire, à certains endroits, n'est que poussière empoisonnée. Les longues colonnes de roche lunaire s'effritaient à mesure que les vents solaires venaient les caresser. C'est comme si le temps s'était arrêté sur ce monde. La végétation était éparse, mourante. Les signes de vie, balbutiants. Qui pourrait croire qu'il serait possible de peupler un tel monde ?
L'aéronef de Dejivelune avait décollée de la station Hay Bay en toute tranquillité et s'était dirigée vers un point non surveillé du transit spatial. Elle avait détourner le blocus avec une simplicité déconcertante, comme si le pilote, Rascor, connaissait le passage pour se rendre en territoire ennemi. L'équipage, formé des quatre aventuriers ainsi que des hôtes, était aussi silencieux que le vide de l'espace. Les regards se tournaient vers le sol. Parfois, à travers un hublot, on pouvait apercevoir quelques étoiles, aussitôt masquées par des nuages de poussière stellaire.
Le vaisseau se posa dans l'ombre d'un cratère, dans un silence macabre. Long de plusieurs dizaines de mètres, il pouvait accueillir une vingtaine de personne. Mais il n'était pas nécessaire d'avoir autant de monde pour une telle mission. Ils gobèrent une capsule de gel spatial qui se répandit à travers leur métabolisme aussi rapidement et s'évacua par les pores de leur peau, leur offrant une protection contre l'aridité glaciale de Jivihia. Esoan Ilenco sentit les douces mains chaleureuses de Jivelune se poser sur ses avant bras. Dans le silence, toujours, elle l'accompagna vers la sortie.
La fragilité de Dejivelune pouvait se sentir dans les effleurements de peau. Toutes deux étaient faites du même défaut, elles pouvaient le sentir. Isaac Johnson préféra rester à l'intérieur de l'aéronef afin de surveiller les arrières. Le robot et le sapiens devancèrent Rascor, qui ne cessait de les regarder avec une méchanceté discernable. Il semblait ne pas faire confiance en eux, ou leur réserver un tout autre dessein que celui pour lequel ils étaient venus.
- Autrefois, ce monde était aussi peuplé que nos mondes. On y allait et venait. On y cueillait des fruits. Cultivait des plantations. Aujourd'hui, ce n'est plus que cendres et misère. Cela fait des mois que je ne suis pas revenue. Ma mère, lorsqu'elle était encore en vie, m'y emmenait souvent...
Toujours en poursuivant sa marche, accompagnant Esoan, elle émit un léger sourire de nostalgie. Rascor était de plus en plus tendu. Il tenait fermement un fusil dans ses mains, et le pointait tantôt aux cimes des falaises escarpées, tantôt dans les recoins des crevasses fissurées. Il observait l'environnement tel un chasseur. Cette attitude dégageait un certain paradoxe, lorsque l'on voyait le calme avec lequel avançait Jivena.
- Ce monde se meurt, chers amis. Il se meurt tout autant que la foi de l'humanité en lui même disparait. Nos ancêtres n'avaient pas comprit le réel danger des institutions lorsqu'ils les adoptèrent. Nous...
Elle se retint. Peut-être ne voulait-elle pas entrer dans un monologue idéologique, et éviter d'endormir ses compagnons avant même d'arriver à bon port. Au lieu de finir sa phrase, elle en poursuivit une deuxième, dont le sens était tout aussi différent, même qui semblait être cohérent avec l'ensemble :
- Nous sommes bientôt arrivés.